16/08/2008
Quelques pages...
Un autre extrait de "Dans le dos des miroirs"
Éditions ÉDILIVRE APARIS :
Je sais parfaitement qu’écrire, c’est se mettre en
danger, c’est risquer sa peau. Écrire, c’est mêler le
monde à ce qui ne le regarde pas : nous-même, nos
pensées les plus intimes, nos sentiments les plus purs
ou les plus honteux, nos rêves les plus secrets et tout
ce qui existe entre ces deux extrêmes, ceux qui
écrivent le savent bien. Pas étonnant qu’on écrive
surtout des romans, des... histoires. On peut alors
transformer, masquer, montrer ou réduire la réalité de
la part de nous-mêmes qui se trouve là, couchée sur le
papier, plus ou moins dénudée, la vérité, notre vérité
qui ne sort jamais sans vêtements, ce serait vite
inassumable.
Mais est-ce que le danger que cela constitue (de se
dévoiler, de se mettre en plein jour) pour sa propre
vie, son propre équilibre n’est pas ce qui motive en
grande partie l’acte lui-même ? Ce danger, cette
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sensation de marcher sur un fil tendu entre deux à-
pics au-dessus d’un précipice... Le frisson délicieux.
J’en veux à l’écriture qui est comme la danse,
discipline et souffrance pour obtenir la perfection du
geste, l’adéquation du mot avec l’idée. Et merde.
Mais je crois que la beauté existe et qu’elle est une
forme d’amour. Je crois que les belles choses
deviennent visibles lorsqu’on cherche sans répit à les
voir et je crois qu’on ne peut pas les voir si on refuse
d’y croire et qu’on devient alors aveugles à leur
évidence devant soi. Nous sommes libres de voir et de
croire. Ou de nier.
Non seulement les relations amoureuses mais
toutes sortes de domaines relationnels ont un
caractère érotique. On l’occulte bien sûr parce que
c’est difficile à assumer.
LA question n’est pas d’« être ou ne pas être », ce
serait plutôt aimer ou ne pas, être aimé ou pas,
l’expansion, la non-résistance à cela est plus rare
qu’on ne croit. Il n’y a pas de contact réel entre les
humains, c’est confondant. Ça me tue.
Je me dis : on ne peut pas aborder les gens comme
dans un roman en leur disant : « Bonjour, quelle est
votre douleur ? »
Pourtant ce serait si simple et si beau, ce serait si
bon.
On ne peut pas, pourtant j’ai essayé une fois ou
deux et j’ai le sentiment de n’avoir eu qu’à tendre la
main pour me retrouver un peu au-delà de la
mornitude.
Alors il faut bien se rendre à l’évidence, c’est dans
l’écriture que réside mon seul véritable espace de
liberté, comme pour bien des « écriveurs », c’est là
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que je suis encore sans contrainte ou censure, sans
regard extérieur penché sur mon épaule pour me
juger, hors d’atteinte, mon seul maître, mon propre
spectateur. Je ne pense pas réellement à ce que va
penser l’autre, de l’autre côté, celui qui va me lire, si
je mettais cela dans la balance, je ne pourrais plus
rien écrire. Je me dis toutefois : « il va peut-être
comprendre, il va peut-être aimer, il va peut-être
m’accepter telle que je suis avec mes contradictions,
ma futilité et mon horrible vanité, il va peut-être
m’aimer. » Et de me rapprocher autant que je peux
sans en brûler de la vérité.
Il y a des choses de soi qu’on ne peut donner à
personne, – d’ailleurs qui en voudrait ? – des choses
pour lesquelles l’écoute de quelqu’un d’intime non
seulement ne suffit pas mais est quasi-impossible
parce qu’il nous connaît, parce qu’il s’est forgé son
image de nous en en éludant certaines parties. La
totalité lui échappe. Pour cela un interlocuteur
inconnu est parfois le seul possible pour se découvrir
soi-même, pour ne pas s’ennuyer ferme avec soi-
même, pour mettre à jour et magnifier ce qu’on ne se
connaît pas encore et qui soudain nous épate nous-
même, qu’on n’avait jamais vu. Échapper à tout ce
système qui statufie notre être et rend impossible la
communication, c’est le pied ! Laissons-nous la
possibilité d’être autrement, ailleurs.
J’en demande beaucoup alors j’écris.
Écrire fait partie de ces actes insensés, c’est ouvrir
une porte vers l’inconnu qui écoute, c’est ouvrir
toutes les portes afin de trouver quelque chose qui
n’est pas la sortie du labyrinthe, oh non, loin de là !
C’est un autre pays, une autre époque, en d’autres
temps, d’autres lieux et c’est un autre espace... C’est
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une nouvelle vie dans le monde des « si », l’univers
des possibles où tout peut arriver. Là ce qu’on veut
enfin, c’est qu’à travers les pages, les histoires, les
images, entre les lignes et les mots, on nous trouve,
nous, l’auteur caché dans cette autre dimension,
rêvant depuis longtemps d’en être débusqué. Au fond,
c’est nous qu’on veut montrer, c’est nous qu’on
entend faire aimer, détester, plaindre. En secret, c’est
notre visage dénudé de ses masques qu’on tend à son
miroir, son témoin, son lecteur.
Et c’est son amour qu’on désire.
Visage d’Ange il m’appelait, mon vieux prof de
dessin...
13:21 Publié dans Écrire | Lien permanent | Commentaires (0)
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